Harry Callahan

Date de Publication: 7 March 2018

Une invitation au voyage

Cette photographie me fascine. Le visage d‘Eleanor capte le regard ; il est encadré par cette longue et épaisse chevelure noire, jouant avec un contraste fort. Cette image passe du blanc presque surexposé au noir profond. On peut noter que le motif principal, le visage d’Eleanor, se situe légèrement décalé à gauche du centre de l’image. L’environnent aquatique participe à ce sentiment d’envolée, où le corps est en apesanteur, comme libéré de son poids. Elle flotte à la surface, sans rencontrer aucune difficulté. Elle est au delà du ressenti corporel, tout semble se jouer par l’esprit.

Pense t-elle à quelque chose? Ou est-elle arrivée à un stade de concentration proche de la méditation, c’est à dire à la recherche d’un néant, du vide tant recherché dans le monde occidental ? Se vider la tête et l’esprit peut être ?

On le sait Eleanor est un motif important dans l’oeuvre de callahan: c’est une matrice. Ce mot est dérivé de mater, qui signifie « mère » – un élément qui fournit un appui ou une structure, et qui sert à entourer, à reproduire ou à construire. Cette éthymologie est intéressante, et nous pouvons y reconnaître une piste permettant de mieux comprendre l’oeuvre de Callahan. C’est à travers la matrice d’Eleanor qu’il explore des pistes variées (par ce motif de différence et de répétition) et créant par la même occasion son oeuvre.

Les yeux clos tournés vers le monde de l’imaginaire, de l’introspection et du mystère. Elle est dans le noir et pourtant si lumineuse. La Photographie est collée à son propre objet physique, à rendre l’image des corps et non de l’esprit.


Une image double

Elle semble avoir une apparence double. Le temps d’un instant, elle peut apparaître comme une femme méditéranènne au visage sévère : » la Mama » , comme un arrêt sur image d’un film de Fellini, dans lesquels les personnages féminins tiennent une grande importance. Et, à l’instant suivant, nous la voyons comme la plus belle des amantes : aimante, douce et passionnée .

C’est peut être grâce à ce contraste fort de à la chevelure épaisse et sombre que notre oeil passe d’un sentiment à l’autre.

Si l’on fixe le visage et focalisons notre regard dessus, il ressort découpé dans cette surface noire. Elle nous apparait alors plus sombre, plus sévère. Mais si, au contraire, notre regard circule de la chevelure au visage, là elle semble plus paisible et douce. La présence de cette chevelure nous amène également à dériver dans l’imaginaire. Dans tous les contes, par exemple, les personnages féminins ont les cheveux longs. Et les contes ne sont que des histoires métaphoriques sur le monde, du microcosme au macrocosme (dans un sens plus moderne, « macrocosme » désigne une vue globale.) C’est un symbole de féminité et de séduction.

Ils tombent sur ces seins se basculant au gré du vent, mouillés aux extrémités. C’est alors que l’on peut presque y voir se dessiner la forme d’un corbeau noir. On ne peut échapper au mythe des sirènes. En grec ancien, une sirène est une créature mythologique hybride : mi-femme et mi-oiseau (tradition antique) ou mi-femme et mi-poisson (tradition médiévale). A la beauté surnaturelle, elles séduisent les hommes. Le corbeau en rêve est censé être un oiseau de mauvaise augure.

Mais c’est alors qu’elle se transforme en maîtresse de la création… Matrice à construire des histoires. Une oeuvre d’art qui impose ce désir créatif est en un mot une image immémoriale.


Un peu d’histoire

Harry Callahan
Il est né le 22 octobre 1912 à Détroit, dans l’État du Michigan aux États-Unis. C’est en 1938 qu’il s’achète son premier appareil photo et rejoint le club de photographie chez Chrysler Motors, où il travaille. En 1941, il assiste à un atelier du photographe Ansel Adams qui l’influence beaucoup. László Moholy-Nagy lui offre un poste d’enseignant àl’Institute of Design de Chicago en 1946. En 1962, il part enseigner à la Rhode Island School of Design. Il dirigera son département jusqu’à son départ en retraite en 1977. En 1983, il déménage à Atlanta, Géorgie et y vit jusqu’à sa mort le 15 mars 1999.

Ses sujets sont sa femme, Eleanor, sa fille, Barbara, et les scènes qu’il croise au détour des rues de sa ville. À chaque fois, il met l’accent sur les lignes et les formes ainsi que le contraste et la luminosité. Il joue aussi avec les techniques d’expositions multiples. Son travail est une réponse très personnelle à sa vie. Il encourage d’ailleurs ses étudiants à faire de même en « photographiant leur vie » ; et il le leur montre au travers de ses propres images. Malgré ça, il n’est pas sentimental, romantique ou émotionnel. Il illustre beaucoup la place centrale qu’occupe Eleanor dans sa vie en faisant d’elle son sujet principal pendant prêt de 15 ans, mais les images ne représentent pas ce qu’elle est, ce qu’elle a fait ou ce qu’elle pense.

Callahan laisse 100 000 négatifs et plus de 10 000 tirages derrière lui.Le Center for Creative Photography (Université d’Arizona) – qui possède plus d’archives et de travaux de photographes américains du xxe siècle que tout autre musée dans le monde – conserve les archives de Harry Callahan.

« La photographie est une aventure, tout comme la vie est une aventure. Si une personne veut s’exprimer photographiquement, elle doit absolument comprendre sa propre relation à la vie « Harry callahan citation présente dans la scénographie de son exposition à la Fondation Henri Cartier Bresson.


Correspondances:

De l’air, le magazine qui donne à voir
Sarah Moon