Pierre-Elie de Pibrac

Date de Publication: 30 March 2009

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai 25 ans et un réel amour pour la photographie. En recherche permanente de ce qu’elle peut me faire découvrir, j’aime surtout la diversité des lieux où elle m’emmène, mais aussi les opportunités de rencontres qu’elle offre.

Depuis quand pratiquez-vous la photographie ?
J’ai commencé la photographie en dilettante lors d’un voyage à New York, par hasard, il y a quelques années. Je ne m’y suis mis de façon réfléchie et structurée que depuis deux ans. C’était à l’occasion d’un voyage en Birmanie qui m’a donné le goût du reportage et l’envie de témoigner à travers un objectif.

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Avez-vous une anecdote concernant vos débuts dans la photo ?

Juste après mon séjour à New York, j’ai à tout hasard envoyé un de mes clichés au magazine PHOTO… Et je me suis retrouvé lauréat du plus grand concours de photos amateur du monde. C’est une amie de ma sœur qui lui a annoncé que j’étais publié. Je m’y attendais tellement peu que je n’avais même pas eu la curiosité d'acheter le magazine. Mais quand ma sœur m’a appris la nouvelle, je me suis précipité pour l’acheter ! Et le soir même je créais un blog pour partager ma passion et mes photos. Voilà comment tout a commencé…

Qu’aimez-vous dans la photographie ? Quels sont vos petits plaisirs ?

Je suis passionné par le médium qu’est la photographie, et pas uniquement par le seul fait de prendre des photos ou créer des images. J’aime tout dans la photographie ; la diversité des styles, les différents formats, l’abondance d’expressions qu’elle renvoie et de sentiments qu’elle dégage. Chaque jour, je découvre un nouveau photographe passionnant et m'empresse de l'étudier. Ma passion pour la photo me pousse donc à essayer tous les styles et formats… Ces expériences sont mes petits plaisirs. Bien évidemment, je cherche aussi à trouver mon propre style et à le parfaire, mais ça, c’est mon travail…

Comment avez-vous découvert la photographie ?

J’ai toujours vécu entouré d'images. Mon grand-père Paul de Cordon était lui-même photographe. Dès mon plus jeune âge, je regardais ses livres et m’amusais dans son studio. Je n’ai donc pas à proprement parler découvert la photographie, mais c’est un jour à New York, que m’est réellement venue l’envie de la maîtriser. Alors je me suis décidé à l’apprendre.

Avec quel type de matériel avez-vous débuté ?

Avec un Sony DSC-U30 de 2 millions de pixels offert par mon frère et des amis! J’ai toujours pensé que l’essentiel dans la photographie était l’œil et le cadrage, et non pas l’appareil. Mais à l’usage, je me suis rendu compte des limites d’un tel boîtier compact. Alors, avec l’argent de mes premières ventes, je me suis acheté un Nikon d70s avec lequel j’ai réalisé les photos de mes voyages en Birmanie et à Cuba. Par contre, j’ai un peu tout fait à l’envers en passant du numérique à l’argentique ! J’ai en effet acheté un Holga et commencé à utiliser plusieurs appareils de mon grand-père. Maintenant, je me sers d’un Nikon d700 pour mes commandes, mais j’ai toujours avec moi un Minox 35GT pour épancher ma soif de photos et nourrir ma curiosité Cet appareil est à mon sens le plus pratique qui soit… À quand l’équivalent en numérique…

Quelques anecdotes sur les étapes de votre apprentissage ?

J’ai eu beaucoup de chance concernant mon parcours dans le monde de la photographie. Après le concours du magazine PHOTO, j’ai commencé à exposer tout en travaillant pour diverses personnes. Et l’année suivante, après avoir été une seconde fois lauréat, j’ai rencontré Éric Colmet Daage, lequel a commencé à suivre mon travail. Il m’a non seulement aidé à me perfectionner, mais aussi accompagné dans mes réflexions sur ma propre photographie. Au départ et par rapport à mes études, je me destinais à travailler dans la finance. Mais un jour, un ami m’a proposé de partir en Birmanie. C’est en fait là-bas que tout a vraiment commencé. J’y ai rencontré des gens formidables, qui se sont confiés à moi simplement parce que je les prenais en photo. J’ai donc imaginé et conçu un petit reportage sur les Enfants Oubliés de Birmanie. Ce reportage a gagné le concours photo étudiant de Paris Match, et l’une des photos a même remporté le premier prix du concours « portraits de voyage » organisé par le site Web de partage d’image Pikeo, le magazine PHOTO et Yann Arthus-Bertrand. Ce prix m’a beaucoup aidé en facilitant la présentation de mon travail à de nombreuses personnes.

Si vous deviez citer un photographe qui vous inspire particulièrement, qui serait-il ?

Des dizaines de photographes m’inspirent tous les jours dans mon travail. En ce moment, je travaille pour l’Agence VU et partage énormément avec Claudine Doury et Rip Hopkins. Deux photographes que j’admire et qui m’inspirent beaucoup. Le cinéma m’aide également, mais si je devais ne citer qu’un photographe ce serait Saul Leiter.

De manière plus générale, quel(s) type(s) de photos réalisez-vous ?

Je n’ai pas vraiment de type de photo. Je fais du reportage, de la mode et de la pub. Mais depuis un an et après mon voyage à Cuba, j'ai choisi de ne plus faire que de la couleur. Parce que c’est comme ça que nous voyons le monde et parce que c’est ainsi qu’il nous apparaît. Alors autant le montrer dans sa réalité ! J’aime en particulier les couleurs vives, un peu comme des peintures, je trouve ça plus joyeux et vivant. Lorsque je compose une photo, je veille à ce qu’elle contienne toujours un élément insolite ou décalé. J’apprécie beaucoup l’humour que parviennent à délivrer certaines photos.

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Êtes-vous attiré par un autre type de photos ?

Tous les types de photographies m’attirent. Du Noir et Blanc des reportages de guerre à la manière de Robert Capa, jusqu’aux sublimes compositions en couleur de David LaChapelle. Qu’on soit ou non photographe professionnel, je ne pense pas qu’il faille s’arrêter à un seul type ou style de photographie. Pourquoi ne pourrions-nous pas tout aimer et tout pratiquer ?!... S’il m’arrive de faire des photos en argentique et d’autres en numérique, que celles-ci soient au format carré ou 24×36, en N&B et ou couleur - c’est vrai que la couleur m’attire beaucoup plus maintenant, j’essaie néanmoins de toujours garder la même logique de composition, de cadrage, d’univers…

Parlez-nous de cette série de photo « 2 jours à la Havane »

Elle a été ma première en couleur… Comment ne pas être impressionné par les couleurs chatoyantes de ce pays et ne pas avoir envie de les retranscrire ? Cette série veut montrer à quel point la vie peut être insolite si on sait prêter attention aux détails qui nous entourent. Pour chacune de ces photos, j’ai d’abord repéré un cadre qui me plaisait et qui se prêtait à l’insolite. Je veux dire par là, favorable à la rencontre d'éléments, dont l’association composerait un moment fort et décalé. Ensuite j’ai attendu que les circonstances adviennent, ce qui n’a pas toujours été le cas, évidemment !! J’ai essayé de m’arrêter sur les petits détails des décors qui m’entouraient. Je voulais faire un reportage qui soit à la fois graphique et esthétique, mais qui raconte aussi une histoire dont les premiers rôles sont tenus par les Cubains. J’ai commencé en faisant des photographies d’architecture. Mais aujourd’hui, je ne conçois plus la photographie sans une présence humaine, sans au moins une personne à laquelle on s’identifie ou avec laquelle on a envie de partager quelque chose. Mais je ne l’envisage pas non plus sans un fort aspect graphique et de composition.

Connaissiez-vous ce pays, ou l’avez-vous découvert à l’occasion de ce travail ?

J’ai découvert ce pays lors d’un voyage en famille. J’ai été totalement happé par les Cubains, leur musique, et leur joie de vivre malgré l’oppression communiste. C’est au cours de ce voyage que j’ai réalisé ce reportage, en mai dernier.

Deux jours, c’est une période courte, une raison particulière à ce choix ?

Je n’ai pas vraiment eu le choix. Je suis parti à Cuba avec ma famille, parce que je n’avais pas les fonds nécessaires à un tel voyage. Deux jours étaient le temps qui m’était imparti. J’ai donc dû concevoir mon reportage en fonction de cette contrainte.
Plusieurs de vos photos présentent un « anonyme ». Il est le seul élément en mouvement dans un décor figé. Un instant de vie, un parcours, une présence presque furtive… Vous semblez à chaque fois garder une certaine distance entre vous et ceux que vous photographiez. Est-ce lié à cette série en particulier ? Au lieu ? Ou est-ce généralement votre façon de faire ? Avec cette série, je ne voulais pas verser dans le misérabilisme ni faire des photos de touriste. Avec Cuba, on nous sert en général soit l’un soit l’autre, alors
qu’existent tant d’autres manières de présenter la vie des Cubains, de la partager avec eux et de témoigner. Même si j’ai réalisé beaucoup de photos de portraits, dans la rue comme chez les Cubains, ce ne sont pas avec celles-là que je voulais témoigner. Je voulais le faire à travers l’insouciance, les détails, le décalé et l’insolite. Dans cette série, comme je l’ai déjà expliqué avant, j’ai à chaque fois choisi le cadre avant la situation. C’est pour cela que je maintiens volontairement une distance, pour ne pas interférer dans la composition de l’image qui viendra ; pour que les Cubains restent spontanés dans la situation qu’ils créeront à leur insu. Combien de fois nous sommes nous retrouvés dans des situations loufoques sans nous en rendre compte, mais dont aucun de nous ne pouvait imaginer l’occurrence avant d’en devenir le témoin inopiné ? Mon approche avec le sujet dépend toujours de la façon dont je conçois mon reportage au préalable, de la manière dont je souhaite traiter ledit sujet.

Nous connaissons tous le difficile contexte politique et social de Cuba : cela joue-t-il d’une quelconque manière sur le rapport des cubains à la photo ?

Je n’ai pas vraiment senti de changement dans leur rapport à la photo. J’ai surtout vu chez eux un profond désir de témoigner. Mais je pense qu’à certains moments, en particulier lorsque cinquante touristes débarquent pour les prendre en photo sans même écouter ce qu’ils auraient à dire, ils doivent se sentir comme les animaux d’un safari. La photographie doit avant tout respecter le sujet et permettre de restituer son émotion. C’est en tout cas ainsi que je la pense et la pratique

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Appliquez-vous un traitement à vos photos ?

Pour ce reportage, j’ai travaillé sur le contraste, les tons clairs et les tons foncés des couleurs, simplement. Ça a été très rapide !

Que pensez-vous de la photographie d’aujourd’hui (nouvelles technologies, tendances, démocratisation de la photo etc.) ?

Je pense que la photo n’en est encore qu’à ses balbutiements. Que représentent 180 années dans l’histoire d’un art ?... Le numérique est certes un des grands tournants de la photographie, mais je ne crois pas que cette technologie fera oublier l’argentique. Il s’agit de deux approches différentes et complémentaires. Je me suis mis à l’argentique après le numérique et pratique aujourd’hui les deux, tout en constatant que je ne réfléchis pas du tout de la même façon suivant que j’utilise mon d700 ou bien mon Minox ou encore mon Holga ! Et pourtant, j’éprouve toujours autant de plaisir avec l’un ou l’autre.

Les avantages du numérique sont nombreux : rapidité, post traitement plus facile, coûts moindres, etc…
À cela s’ajoute pour le photographe la possibilité de pouvoir tout faire seul sans devoir posséder de grandes notions techniques. Le seul reproche qu’on pourrait faire au numérique, c’est son côté un peu froid et sans âme ; il y a moins de contact et de complicité avec le tireur, voire pas du tout. Il en est de même pour la perte de ce moment à la fois magique et stressant qu’est l’attente de voir apparaître peu à peu le résultat du cliché. Le numérique a démocratisé la photo, ce qui est une très bonne chose. Il permet en outre à de nombreuses personnes de libérer leur imagination par la photographie, cela grâce aux nombreuses options techniques qu’il offre. Et plus il y a de photographes, plus il y a de challenges pour encore plus de photographies extraordinaires ! Les concurrents sont nombreux, certes, mais quelle motivation !!!

Là où les choses se compliquent, c’est pour le photojournalisme. L’actualité à chaud devenant une priorité des médias, la plupart des journaux se satisfait de photographies amateurs prises avec des téléphones portables. Et cela même si la qualité obtenue est plus que médiocre. Les rédactions n’emploient pratiquement plus de photographes et commandent de moins en moins de reportages. Résultat, il revient maintenant aux photographes indépendants de dénicher des rédactions prêtes à acheter leur travail pour qu’ils puissent couvrir leurs frais. Heureusement, il existe aujourd’hui des Prix comme le World Press Photo qui leur permettent de s’exprimer et de gagner un peu leur vie. Le photographe professionnel reste avant tout un vrai enquêteur qui cherche comment présenter un travail structuré et intelligent. Il est donc regrettable qu’on le laisse de moins en moins s’exprimer, surtout si c’est pour privilégier la photographie « people », par exemple. Mais le vingt et unième siècle, n’est-il pas celui de l’actualité brûlante et de la vente à tous prix !...

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Je pense que la capture d’images à partir de vidéos (souvent HD) devient également une tendance forte. Dans quelque temps, les photographes - si toutefois ils s'appelleront encore comme ça - partiront en reportage avec une caméra plutôt qu’un appareil photo. Ils réaliseront alors des films dont ils pourront extraire des images, mais ne feront plus de vraies photos. Un des effets positifs de cette mutation est la reconnaissance de la photographie en tant qu’Art à part entière, ce qui devrait mobiliser de nombreux collectionneurs. Il s'ouvre aujourd’hui de plus en plus de galeries de photos, et c’est tant mieux. La reconnaissance de la photo par le monde très fermé des œuvres d’art est une excellente chose.
Enfin, pour parler un peu de l’avenir, je pense que la photographie devra aussi interagir avec d’autres médiums tels que la vidéo, la musique ou encore la sculpture. Et j’espère que bientôt elle représentera bien plus qu’un simple cadre accroché au mur. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle j’admire David LaChapelle; dans sa dernière exposition, il a réussi à donner vie et relief à ses photos, grâce aux jeux de lumière.

Si vous deviez choisir un seul de vos clichés, lequel serait-il ?

Certainement le portrait des enfants birmans, celui qui a gagné le concours Pikeo / magazine Photo. Il exprime tout ce que j’aime dans la photographie de portrait, à savoir la complicité et la curiosité réciproque entre photographe et sujet. Ses enfants m’ont beaucoup touché, et les regarder me fait revivre le bonheur de notre rencontre. Cette photo a de plus été choisie par Yann Arthus Bertrand, et sera vendue aux enchères chez Christie’s en Juin prochain, au profit de l’ARSEP (Association pour la Recherche sur la Sclérose en Plaques). Je suis ravi que le fruit de cette vente serve une telle cause.

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Quels sont vos projets photo pour l’avenir ?

Je viens de terminer une série pour une marque de vêtements et en attends les retombées… Je dois aussi intervenir lors d’une conférence organisée par Paris Match sur le photoreportage. Je suis par ailleurs impatient d’assister à la vente aux enchères chez Christie’s. Et si tout va bien, je pars d’ici quelques mois à New York pour approfondir mon travail auprès d’un photographe confirmé. Côté reportages, j’ai plusieurs projets en perspective, notamment en banlieue parisienne, à Madagascar et en Tanzanie. Et enfin, j’ai aussi un grand projet pour de la photographie destinée aux galeries. Reste maintenant à me mettre en quête de leurs financements…

Pierre-Elie de Pibrac, 2 jours à la Havane

Article par Tania Koller