Augustin Le Gall

Date de Publication: 25 February 2011

Augustin Le Gall, Je vous vois

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots?

Je m’appelle Augustin Le Gall. On me connaît surtout par mon surnom Algo. Je suis photographe de thématiques liées aux traditions, au sacré, aux imaginaires collectifs d’un territoire, aux pratiques musicales de la Méditerranée. Je cherche des portes d’entrées pour questionner des enjeux de société. Depuis deux ans, je développe différents travaux sur le portrait et la mise en scène. Je suis actuellement basé à Marseille.

Depuis quand pratiquez-vous la photographie ?

Je pratique la photographie depuis une dizaine d’années. J’ai commencé à m’investir sur des projets photographiques en parallèle de mes études d'anthropologie dans les domaines associatif, culturel et artistique de l’université. J’ai affiné ma démarche sur des projets culturels liés aux arts vivants et au monde de la musique.

Comment avez-vous découvert la photographie ? Quand ?

Je devais avoir dix-neuf ans (1999). Une amie m’a offert un canon AE1. C’est arrivé à une époque où j’avais du mal à m’affirmer. Avec un appareil photo je m'exprimais plus facilement. Et puis après, j’ai découvert le moyen format avec une copie japonaise du Rolleiflex : le Yahica 124 Mat.

Quelques anecdotes sur les étapes de votre apprentissage ?

Des anecdotes… Il y en a plusieurs. Mais c’est plutôt après ma rencontre avec le photographe Virgile Jourdan que la photographie est devenue un tournant dans ma vie. C’est grâce à ce qu'il m'a appris que j’en suis là aujourd’hui. Il est à l'origine de tout. Pour moi, la photographie est avant tout une histoire de rencontre. Et cette rencontre a été décisive.

Pouvez-vous nous dire quelles sont, vos “références” en matière de photographie ? Si vous deviez citer UN photographe qui vous inspire particulièrement, qui serait-il ?

J’ai plusieurs références qui nourrissent mon travail au quotidien. Jan Saudek, pour ses autoportraits, son exubérance et ses mises en scènes. Jean Gaumy avec son travail «Pleine Mer» sur les marins-pêcheurs de ma région d’origine. Il parle de gens qui étaient proches de mon grand-père, lui-même amateur et capitaine de chalutier en Vendée. C’est à la fois un métier que je respecte car il est au cœur des conditions difficiles de ce type de travail, celui du noir et blanc, de l’implication du photographe dans le projet, mais aussi parce que c'est un travail photographique qui évoque la vie d’une grande partie de ma famille. Il y a également Michael Ackerman pour son univers et Duane Michals pour ses séquences photographiques et sa provocation du réel. Et bien sûr le magnifique travail de Giorgia Fiorio sur le «Don» au travers de la diversité des formes d’expression du sacré dans différentes cultures du monde entier.

Augustin Le Gall, Je vous vois

Avec quel matériel travaillez-vous ? Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?

Aujourd’hui je travaille principalement en numérique, même si je reviens de plus en plus à la photographie argentique. Aujourd’hui, on ne peut plus passer à côté du numérique dans le secteur professionnel. Cependant, ce sont deux démarches de travail et de réflexion sur notre pratique complètement différentes. Avec le numérique, on contrôle tout. L’argentique, il y a une part plus ou moins grande d’aléatoire, ce qui créé parfois des déceptions mais aussi de bonnes surprises. J’aime explorer l’aléatoire.

Quel(s) type(s) de photos réalisez-vous ?

Je travaille sur des personnages qui racontent une histoire. Une histoire n’existe que par ceux qui la vivent ou la racontent. Mais je souhaite aussi raconter mon histoire. La «réalité» est mon terrain de jeu, mais il y a une grande part de subjectivité assumée dans mon travail. C’est souvent en m’éloignant de cette réalité et en m’inscrivant comme auteur que, finalement, je n'en suis pas si éloigné. La réalité est subtile. Seul le temps peut révéler cette subtilité. C’est pourquoi je passe beaucoup de temps sur mes projets personnels. Mon vrai travail commence généralement au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années de rencontres et de voyages au même endroit. Ou alors, peut-être, suis-je seulement lent.

Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet? Qu’est-ce qui vous intéresse dans « les esprits »?

Dire que j’ai traité ce sujet, serait déplacé. C’est plutôt lui qui m’a traité… À vrai dire, ce n’est pas vraiment un choix qui a motivé ce travail. C’est plutôt, a posteriori, un travail sur l’impact que peuvent parfois avoir des sujets sur lesquels je travaille.
Pour bien comprendre cette série de dix photographies réalisée en 2009, je dois préciser que depuis plusieurs années je travaille sur des rituels thérapeutiques au Maghreb. Ces cultes de possession, «africains par la sève et maghrébins par la greffe», soignent au travers de leur alliance forte avec les esprits («jnouns»). Ce culte des esprits dont les principaux officiants sont appelés Gnawa au Maroc ou Stambali en Tunisie, s’organise autour de prêtres-officiants, réceptacles «officiels» des esprits africains et des saints musulmans, et de musiciens qui orchestrent les cérémonies et entonnent le répertoire associés aux «jnouns».

Malgré toute la distance que la photographie m’a apporté, mon corps et mon esprit gardent les traces de ces moments forts. Chez moi, je ne suis pas relié au sacré. Ou toujours est-il que cela ne fait pas partie de mon quotidien. J'attribue mon attirance pour ces musiques et ses pratiques au fait que je ne retrouve cela ni chez moi ni dans mon entourage, et que j’en éprouve un manque. Je suis littéralement fasciné par tout ce qui peut se produire à la fois dans ces rituels, mais aussi dans la vie quotidienne des gens attachés à mon sujet. Ces cérémonies sont une forme de partage domestique de la maladie et de la guérison.

Chez nous, tout cela se vit de manière très individuelle ou en cercle très restreint. Disons que notre société, nous apprend en premier lieu à raisonner plutôt qu’à expérimenter par le corps, des concepts, des réflexions et des actes, cela jusqu’à la croyance ou même la foi. Dire que j’y crois ou non n’est pas la question. C’est de l’ordre du personnel, de l’intime. Mais je peux aujourd’hui assumer cette forte influence dans ma vie.

Augustin Le Gall, Je vous vois

Au départ, cette série n’avait pas pour objectif d’être montrée. C’était juste une forme expiatoire afin de me libérer d’une violence, qui m’avait envahi à une époque où je baignais dans un monde qui m’échappait totalement. «Je vous vois» était une manière de dire que je prenais conscience de cette présence du sacré dans mon quotidien. Une manière de m’en libérer pour mieux l’accepter. Une autre manière aurait été voir un psy. Moi, je me suis juste mis à crier devant mon appareil. Mais toutes ces tensions étaient focalisées sur ce Grand Monde que j’ai voulu expérimenter à ma manière. Et puis, une histoire a fini par se dessiner. Une technique s’est affinée. Et alors, je me suis dit qu’il serait intéressant de la partager.
Aujourd’hui, il est devenu indissociable pour moi de parler de ce type de sujet sans questionner mon rapport avec lui et analyser l’impact que cela peut produire sur mon esprit. Et puis, pour les cultures qui pensent que la photographie prend leur âme, je ne sais pas… Ce que je sais c’est que les «jnouns» adorent être photographiés…

GNAWA – Tradition et Création – from ALGO on Vimeo.

«Je sais bien que les esprits n’existent pas. Voilà cinq ans, j’ai entamé un travail sur les musiques de transe du bassin méditerranéen. De ces musiques qui font appel aux esprits, aux ancêtres et autres entités surnaturelles, et dont la structure inhérente est de soigner. De ces histoires qui reviennent hanter le présent. La transe est ici reine. Une transe « adorciste », résultat d’une alliance entre le corps des adeptes et l’esprit des ancêtres. Les corps s’abandonnent dans la danse et rejoignent le Grand Monde. Y croire ou non, n’est pas la question, cela se suffit à soi-même. Pourtant, malgré toute la distance que j'essaye d'imposer, ce travail n’est pas sans incidence, mon corps et mon esprit en garde des traces.

Appliquez-vous un ou des traitements à vos photos ? Si oui, lesquels ?

Chaque photographie est le résultat d’une seule prise de vue. Il n’y a aucun montage numérique. Seulement un travail en post-production au niveau des contrastes et de la luminosité. C’est une technique que j’ai découvert par hasard. J’avais envie de jouer sur la trace et le mouvement figé.

Comment définiriez-vous votre travail ?

Mon travail tente de poser un regard sur ce point de bascule qui confronte les imaginaires au quotidien. (…) Ma démarche principale est la photographie documentaire. A partir de là, j’explore différents chemins qui parfois se transforment en série très personnelle. Comme cette série.

Si vous deviez choisir un seul de vos clichés, lequel serait-il ? Pourquoi ?

Cela est un bloc qui dissocié, perdrait tout son sens. Joker…

Qu’aimez-vous dans la photographie ? Quels sont vos petits plaisirs ?

Ce que j’aime dans la photographie… Elle est une clef pour entrer dans des mondes complètement différents. Relativiser le quotidien. J'aime aussi la partager autour de moi.

Cette série a été sélectionnée parmi les cinq lauréats du Prix SFR jeune Talent pour le vote du public, en novembre 2010. Une des photographies ( #6) a remporté le prix « catégorie Photographie du Festival de l’Etrange » organisé par l’Alliance française d’Essaouira (Maroc), en décembre 2010.

Augustin Le Gall, Je vous vois

Article par Tania Koller

Correspondances:

Dany Leriche & Jean Michel Fickinger
Bruno Boudjelal