Vincent Bitaud

Date de Publication: 10 April 2018

Vincent Bitaud nous présente « Sleeping Beauties »

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Vincent Bitaud, j’ai 25 ans, et je suis un photographe basé sur Paris.

JDepuis quand pratiquez-vous la photographie ?

Cela fait 7 ans maintenant

JAvez-vous une anecdote concernant vos débuts dans la photo ?

Non, mis à part que mes premières photos sont particulièrement mauvaises !


JQu’aimez-vous dans la photographie ?

J’aime ces petits instants de grâce ou tout se met soudainement en place, quand la scène apparait au coin d’une rue et que la lumière appelle à déclencher. Je me retrouve dans la notion d’instant décisif chère à Cartier Bresson.

JComment avez-vous découvert la photographie ?

C’est en m’intéressant au webdesign et au graphisme que j’ai acheté mon premier appareil, en 2002… Ne sachant dessiner, j’avais besoin de matière avec laquelle travailler. La passion pour la photographie en tant que telle a très vite pris le dessus.

JAvec quel type de matériel avez-vous débuté ?

Avec un compact bridge Fuji s602z.


JQuelques anecdotes sur les étapes de votre apprentissage ?

Tout s’est fait petit à petit. J’ai commencé par errer seul dans les rues avec mon appareil et partir à la chasse aux images. Peu à peu, une certaine vision personnelle s’est dégagée. Puis les premières expositions amateurs, les premières publications. En 2005, j’ai été publié sur la page photo de lecteur du monde 2. En 2007, j’ai participé à un forum pour jeunes photographes en Irlande et j’ai intégré l’agence Young Photographers United. 2009 est une année importante, avec la publication d’un livre par l’Asia Europe Foundation avec 17 autres photographes, et quelques clichés de sleeping beauties seront éxposés à la National Art Gallery of Malaysia de Kuala Lumpur.

JSi vous deviez citer un photographe qui vous inspire particulièrement, qui serait-il ?

Le photographe américain Philip-Lorca diCorcia. Ses scènes méticuleusement préparées distillent un sentiment étrange et de non dit. Son travail est à la croisée de la photographie de rue et des beaux arts, mais la frontière est floue et laisse beaucoup de place à la l’imagination, à l’auto narration.

JAvec quel matériel travaillez-vous ?

En numérique, avec un canon eos 5D et deux optiques (24mm f1.4 et 50mm f1.8). En argentique, avec un moyen format mamiya 645 et deux optiques (45mm et 80mm f2.8). J’utilise aussi parfois quelques Lomo pour le fun.


JDe manière plus générale, quel(s) type(s) de photos réalisez-vous ?

Je suis à la base un photographe de rue « pur et dur », travaillant principalement sur la notion de solitude urbaine. Mon travail cherche à établir des connexions entre identité et environnement. Révéler l’impact du lieu de vie sur le mutisme et l’impassibilité de façade. Contextualiser et expliciter l’indifférence générale comme le résultat d’une surabondance de différences. Mais chemin faisant, je m’oriente de plus en plus vers une approche d’avantage artistique que journalistique. Une de mes dernières séries par exemple, « Car(e)less City », une réflexion sur l’usage qui pourrait être fait des grands axes routiers urbains si la voiture en était bannie du jour au lendemain, est constituée de photomontages.

JÊtes-vous attiré par un autre type de photos ?

Je souhaite me former à la photographie publicitaire et de mode. Autant pour développer une approche esthétique différente que pour vivre un tant soit peu de ce métier !

JParlez nous de cette série de photos ?

Sleeping Beauties est une série de photographies prise la nuit dans les aéroports de Roissy et d’Orly. Elle juxtapose portraits de voyageurs endormis et terminaux désertés.


JComment vous est venue l’idée de traiter ce sujet ? Que vous évoque ce lieu ?

J’avais rendu visite une nuit à une connaissance qui est douanier sur l’aéroport d’Orly. En déambulant dans l’aéroport, j’ai été instantanément saisi par la puissance évocatrice du lieu. La nuit tombée, les aéroports sont l’antithèse complète de ce qu’ils sont en journée : le silence et l’immobilité dominent. Chaque soir, un lieu dédié à l’accueil de milliers de personnes en mouvement se transforme en son contraire le plus parfait, et n’a jamais été conçu pour être vu ou même utilisé ainsi. Une anomalie quotidienne.

JComment se sont déroulés les préparatifs. N’y a-t-il pas eu des contraintes liées à la « sécurité » dans l’aéroport ? Souvent les appareils photos y sont plutôt mal perçus… Partie de cache-cache ou autorisation préalable ?

J’avais contacté Aéroports de Paris pour leur faire part de mon projet, mais ils m’ont refusé l’autorisation. J’ai donc travaillé à l’arrache, dans l’urgence la plus totale, l’oeil toujours ouvert pour guetter l’arrivée de policiers ou d’agents de sécurité. Mon expérience de photographe de rue m’a beaucoup servi pour rester discret. Mais j’ai maintenant une autorisation de la préfecture pour travailler à Roissy.

JQuelles ont été les réactions des passagers / voyageurs éveillés que vous avez pu croiser. Votre présence dans ces lieux a dû attiser leur curiosité, non ?

Le peu de voyageurs éveillés me regardaient d’un œil endormi et très peu curieux. Ils avaient l’air de se demander ce que je faisais mais presque aucun ne m’a interpellé. Ma seule inquiétude était que mes « modèles » se réveillent : je pense que personne n’aimerait s’éveiller en face d’un trépied orné d’un massif appareil photo pointé dans sa direction. Certaines expositions ont pris près de 8 minutes (je shootais avec une pellicule tungstène à seulement 64 ISO), et les voyageurs ont plutôt le sommeil léger ! Heureusement personne ne s’est réveillé.

Il y a dans cette série un incroyable contraste entre le monde extérieur, que l’on distingue parfois à travers les baies vitrées, et l’intérieur de l’aéroport, illuminé comme en plein jour, et pourtant quasiment vide de tout mouvement, de toute activité. Comment avez-vous travaillé / utilisé la lumière pour retranscrire cette atmosphère est à la fois irréelle et très poétique.
L’utilisation d’une pellicule diapo tungstène a permis de sortir ses teintes bleutées particulièrement froides, qui m’ont permis de souligner le caractère chirurgical et peu accueillant du lieu. L’éclairage « visible » à l’œil nu étant relativement tamisé, un long temps de pose a permis d’accentuer cette sensation de « bain de lumière » qui caractérise les clichés. Enfin, la focale grand angle permet de suffisamment embrasser l’architecture spectaculaire des lieux et de souligner l’isolement des dormeurs, tout en multipliant les sources de lumières captées par l’appareil et retranscrites sur le film.

Le rapport de l’aéroport à la photo est lui-même paradoxal… c’est sans doute l’un des endroits ou les personnes sont les plus équipés en matériel photo (voyages, vacances …) mais aussi celui ou l’appareil est le moins utilisé… Quelles expériences ou anecdotes tirez-vous de votre travail photographique en ce lieu plutôt inhabituel ?
Votre question renvoie à la problématique sécuritaire. Le plan Vigipirate et la politique de notre cher président ont justement fait de l’aéroport un lieu où, si beaucoup de matériel transite, mieux vaut le laisser dans le sac.


JQue pensez-vous de la photographie aujourd’hui ?

La démocratisation de la photo est une très bonne chose. Sans elle et l’avènement du numérique, je pense que je n’aurais jamais été photographe ! Les nombreux sites communautaires (deviantart, flickr…) sont un excellent vivier de talents. Les possibilités d’auto édition de livres photos en très faibles tirages (blurb.com) accompagnent parfaitement le mouvement. L’internet a permis des possibilités de diffusion inespérées pour les photographes amateurs, et reste un espace privilégié pour l’autoformation. Les inquiétudes du monde professionnel sont compréhensibles, mais comme en musique, un nouveau modèle économique est à dégager. Quoi qu’il en soit, la photographie est définitivement entrée en art et ne nous sommes pas au bout de nos surprises. Nous vivons une période très excitante, et beaucoup de choses restent à faire. Le numérique a permis une démocratisation totale de l’art, qui reste un milieu très élitiste. Le photographe Stephen Shore a déclaré une fois dans une interview à propos de flickr, je cite : « Je suis allé sur flickr et je n’y ai vues que des milliers de merdes, je n’arrivais pas à y croire. Tout est conventionnel, tout n’est que cliché, un enchainement sans fin de conventions visuelles ». Je pense personnellement que c’est tout le contraire, et qu’une telle vision est prétentieuse et trahit aussi inquiétude de voir son pré carré se faire grignoter par ce joyeux bordel créatif qu’est l’internet.

JSi vous deviez choisir un seul de vos clichés, lequel serait-il ? Pourquoi ?

Grand Palais, probablement. Je n’ai pas vraiment de mots pour expliquer pourquoi, disons qu’elle répond au plus près à ma propre sensibilité de photographe, tant sur le fond que sur la forme.

JQuels sont vos projets photo pour l’avenir ?

Je vais tenter de reprendre des études de photographies, en école d’art. Après des années de pratique autodidacte, je ressens le besoin d’un certain encadrement pour clarifier d’avantage mon propos artistique.

JAutre chose ?

J’espère vous voir nombreux au vernissage de mon exposition !

Merci à Vincent Pour cette rencontre !

Jeremy Barré

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Correspondances:

Gabriela Herman
Maria Letizia Piantoni